jeudi 26 mai 2011

L'ubac et l'adret






La mémoire est ce lieu magique où coexistent jadis et maintenant, l’absence et la proximité, la cause et l’effet, les vivants et les morts. Par elle, les êtres sans ubiquité, sans longévité que nous sommes tiennent ensemble tous les moments, tous les lieux, s’élèvent, un instant, au-dessus d’eux-mêmes.
Pierre Bergounioux







      Nos histoires sont mitées de part en part. Avec des mots que l’on pose par-dessus à chaque pas, elles ressemblent à des ganses brodées montées avec des fils fragiles et magiques aux extrémités. Et l’on tire, l’on tire inlassablement, l’on tire sur ces fils au bord de nos mémoires trouées, sans relâchement aucun, pour couvrir d’avantages dorés nos vies minuscules, grâce à une illusion toute théâtrale, qui représente en nouvelle favorable le passé déguisé en roi soleil.


Les histoires d’hier sont cantonnées au fond de notre mémoire dans une sorte de camp retranché. Elles stationnent sur un vague terrain de notre psyché, un port près d’une mère éternelle, à Ostie près de Rome. Quand je me risque à faire coulisser les portes couleur charbon de bois de ces cargaisons qui datent, dans le grenier, un verger, le Léthé, je vois défiler un chant d’Homère armé jusqu’au rêve, une planche d’Alembert, les arbres fruitiers, des pruniers, des poiriers, les grands bras rouges ou verts des cerisiers, une multitude de mottes de terres obèses à leurs pieds, des touffes enchevêtrées, des chattes vertes ou vertes, la queue dressée d’un chien dans les étoiles d’un jeune rêveur qui court dans le pré comme un coq sait gueuler après tout, des dames légères venues remplir leurs paniers en osier dans les premiers pommiers en fleurs. Je vois surtout couler le cidre frais le long des drailles dans les estives de ma mémoire. On trouve là des moutons tumultueux sans jarrets pris dans la rosée du matin à cause d’un mur de cimetière juste à côté, des façons d’avoir été taillées dans des costumes devenus trop étroits pour nos vieilles épaules d’été ridées.
Ici, je peux bien reparler sans souci, quitte à faire suer, de ma peine capitale déterrée, dans le souvenir d’un voyage nocturne assassiné, à des lieux et des lieux de l’écoumène.
C’est une place à Paris. Un de ces endroits qui reçoit une foule de gens. La place est au cœur du quartier, le quartier au cœur de la ville, la foule au cœur de la place, et le cœur au cœur de l’homme. Les rides de la foule font onduler la place remplie à cette heure-ci. L’ensoleillement, la douceur du fahrenheit viennent caresser les corps dans la foule. C’est une caresse sensuelle. C’est bon, bien trop bon.
A la fin d’une ondulation, dans la caresse, au milieu de l’une de ces rides, il y a un jeune homme et une jeune femme. La foule tranquille roule autour d’eux. Le jeune homme et la jeune femme ont choisi de s’asseoir à une table de café comme on dit. Le jeune homme aime la jeune femme qui ne peut pas parce qu’ils ne sont pas du même côté. C’est très simple.






Lui, vient de Mars, soufflé par le désordre glacial d’Arès, levant les maux des espèces transpercées, le silex et le mildiou, sur l’Ubac.
Elle, habite Jupiter, bien au chaud chez sa mère folle des splendeurs en argent des palais dorés de la belle cité impérieuse des marchands de Paris, avenue de la République thésaurisée, sur l’Adret.
Le bêta aime la jeune femme. la belle ne voit pas une seule seconde comment cela est possible parce que très simplement ils ne sont pas du même versant : logique ? Discuter là ? Nourrir le corps, nourrir le cœur : logique. S’arrêter là : logique 
Le cœur au cœur de l’homme, dans cette foule au cœur de la place, sur cette place au cœur du quartier, dans ce quartier au cœur de la ville il y a un pont. Je l’ai appelé : le Pont des Troubles.


3 commentaires:

  1. du souvenir au regret...
    forcément ?
    mais le regret aussi a un avenir, dans la poésie
    rendre vie à l'impossible, c'est s'en libérer
    alors larguons la prison des motifs, et venons-en, enfin, aux faits

    RépondreSupprimer
  2. Cher Fer à cheval. Mon blog est en construction; la construction c'est le devenir, l'espace entre le souvenir et l'avenir. Mes motifs sont des couleurs que je dispose tranquillement(devenir) sur une toile de fond. Je ne suis pas un ingénieur, qui sait déjà tout de l'image avant même de l'avoir constituée (ah! le con!). Les faits ? Ce sont un résultat, un aboutissement, je n'en suis pas là. Mon journal littéraire est une construction décidée, mais hasardeuse,fragile, c'est le lieu du dépôt heureux où non des mes couleurs sur une toile (Lecture, écriture, Kitel maché). Seul l'ingénieur, ce pédant qui se croit Dieu, connaît la fin. Moi, je danse avec la création, quitte à perdre le pas.

    RépondreSupprimer
  3. disons que c'était une réflexion d'ordre général, plutôt qu'adressée à vous en particulier... mais suscitée par votre particularité et ce que j'y lis particulièrement...
    peut-être en fin de compte adressée à moi ?...
    en aucun cas un "conseil" que je vous donnerais...
    juste un coup de main à la construction

    RépondreSupprimer