La
mémoire est ce lieu magique où coexistent jadis et maintenant, l’absence et la
proximité, la cause et l’effet, les vivants et les morts. Par elle, les êtres
sans ubiquité, sans longévité que nous sommes tiennent ensemble tous les
moments, tous les lieux, s’élèvent, un instant, au-dessus d’eux-mêmes.
Pierre
Bergounioux
Nos
histoires sont mitées de part en part. Avec des mots que l’on pose par-dessus à
chaque pas, elles ressemblent à des ganses brodées montées avec des fils
fragiles et magiques aux extrémités. Et l’on tire, l’on tire inlassablement,
l’on tire sur ces fils au bord de nos mémoires trouées, sans relâchement aucun,
pour couvrir d’avantages dorés nos vies minuscules, grâce à une illusion toute
théâtrale, qui représente en nouvelle favorable le passé déguisé en roi soleil.
Les
histoires d’hier sont cantonnées au fond de notre mémoire dans une sorte de
camp retranché. Elles stationnent sur un vague terrain de notre psyché, un port
près d’une mère éternelle, à Ostie près de Rome. Quand je me risque à faire
coulisser les portes couleur charbon de bois de ces cargaisons qui datent, dans
le grenier, un verger, le Léthé, je vois défiler un chant d’Homère armé
jusqu’au rêve, une planche d’Alembert, les arbres fruitiers, des pruniers, des
poiriers, les grands bras rouges ou verts des cerisiers, une multitude de
mottes de terres obèses à leurs pieds, des touffes enchevêtrées, des chattes
vertes ou vertes, la queue dressée d’un chien dans les étoiles d’un jeune
rêveur qui court dans le pré comme un coq sait gueuler après tout, des dames
légères venues remplir leurs paniers en osier dans les premiers pommiers en
fleurs. Je vois surtout couler le cidre frais le long des drailles dans les
estives de ma mémoire. On trouve là des moutons tumultueux sans jarrets pris
dans la rosée du matin à cause d’un mur de cimetière juste à côté, des façons
d’avoir été taillées dans des costumes devenus trop étroits pour nos vieilles
épaules d’été ridées.
Ici,
je peux bien reparler sans souci, quitte à faire suer, de ma peine capitale
déterrée, dans le souvenir d’un voyage nocturne assassiné, à des lieux et des
lieux de l’écoumène.
C’est
une place à Paris. Un de ces endroits qui reçoit une foule de gens. La place
est au cœur du quartier, le quartier au cœur de la ville, la foule au cœur de
la place, et le cœur au cœur de l’homme. Les rides de la foule font onduler la
place remplie à cette heure-ci. L’ensoleillement, la douceur du fahrenheit
viennent caresser les corps dans la foule. C’est une caresse sensuelle. C’est
bon, bien trop bon.
A
la fin d’une ondulation, dans la caresse, au milieu de l’une de ces rides, il y
a un jeune homme et une jeune femme. La foule tranquille roule autour d’eux. Le
jeune homme et la jeune femme ont choisi de s’asseoir à une table de café comme
on dit. Le jeune homme aime la jeune femme qui ne peut pas parce qu’ils ne sont
pas du même côté. C’est
très simple.
Lui,
vient de Mars, soufflé par le désordre glacial d’Arès, levant les maux des
espèces transpercées, le silex et le mildiou, sur l’Ubac.
Elle,
habite Jupiter, bien au chaud chez sa mère folle des splendeurs en argent des
palais dorés de la belle cité impérieuse des marchands de Paris, avenue de la
République thésaurisée, sur l’Adret.
Le
bêta aime la jeune femme. la belle ne voit pas une seule seconde comment cela
est possible parce que très simplement ils ne sont pas du même versant :
logique ? Discuter là ? Nourrir le corps, nourrir le cœur : logique. S’arrêter
là : logique
Le
cœur au cœur de l’homme, dans cette foule au cœur de la place, sur cette place
au cœur du quartier, dans ce quartier au cœur de la ville il y a un pont. Je
l’ai appelé : le Pont des Troubles.
du souvenir au regret...
RépondreSupprimerforcément ?
mais le regret aussi a un avenir, dans la poésie
rendre vie à l'impossible, c'est s'en libérer
alors larguons la prison des motifs, et venons-en, enfin, aux faits
Cher Fer à cheval. Mon blog est en construction; la construction c'est le devenir, l'espace entre le souvenir et l'avenir. Mes motifs sont des couleurs que je dispose tranquillement(devenir) sur une toile de fond. Je ne suis pas un ingénieur, qui sait déjà tout de l'image avant même de l'avoir constituée (ah! le con!). Les faits ? Ce sont un résultat, un aboutissement, je n'en suis pas là. Mon journal littéraire est une construction décidée, mais hasardeuse,fragile, c'est le lieu du dépôt heureux où non des mes couleurs sur une toile (Lecture, écriture, Kitel maché). Seul l'ingénieur, ce pédant qui se croit Dieu, connaît la fin. Moi, je danse avec la création, quitte à perdre le pas.
RépondreSupprimerdisons que c'était une réflexion d'ordre général, plutôt qu'adressée à vous en particulier... mais suscitée par votre particularité et ce que j'y lis particulièrement...
RépondreSupprimerpeut-être en fin de compte adressée à moi ?...
en aucun cas un "conseil" que je vous donnerais...
juste un coup de main à la construction