mardi 1 mai 2012

Les marque-pages



Chien

[p 73, Les Onze, Pierre Michon, Verdier, 2009 : « Et si Dieu est un chien, vous avez peut-être licence d'être un chien à son image, de grimper le talus, de jeter à terre, de trousser et forcer, et de saillir sans façon à la mode des chiens.»].

Lieu

Je suis le chien de mes désirs. Un pan de mur entier était dédié aux livres. Quand je suis rentré pour la première fois un soir de mai 2004 chez ma compagne, vite fait bien fait, je fus transporté par la bibliothèque qui habillait cette partie du séjour. Jade l’avait dessinée, fabriquée et peinte. Sans doute sans se le dire l’avait-elle envisagé à son image. La couleur dominante était le chaud. Ses atours qui titillaient l’imagination, étaient dépourvus de toute tentative ostentatoire bien qu’un brin provocateurs. Elle avait conçu le rangement pour faire disparaître le lecteur aventureux dans les mémoires, les rêveries, les fièvres, les hontes. Pensez donc ! Pêle-mêle : la Bible, le Coran et les sciences, viril : Hombre de Verlaine, crucial : La généalogie de la morale, politique : La condition de l'homme moderne, moral : Discours sur l’inégalité parmi les hommes, saisissant : Discours sur le colonialisme, utopique : Thomas More, monumental : Bouvard et Pécuchet, sans extravagance : l’Iliade et l’Odyssée, exotique : Les Petits beurres de Ménilmontant, important : Proust, Comment parler des livres qu’on a pas lu, académique : les fleurs du mal et les caprices de Marianne, sérieux : Le sexe et l’effroi, France Inter : la vie sexuelle de Catherine M., historique : Nouveau voyage aux Isles de l’Amérique du Père Labat, aventureux : La longue route de B. Moitessier, poétique : le Gouverneur de la rosée, féministe : Moi Tituba sorcière…, anthropologique : Ainsi parla l’oncle de Jean Price Mars, colérique : Cahier d’un retour au pays natal, amoureux : Lamiel, érotique : le jardin parfumé. Etc… Magical Mystery Tour ! Je contemplais une somme toute de désirs, consacrée à ça. L’adultère a ceci de bon, il m’avait poussé jusqu’ici. J’étais bien dans ce lieu. Je m’évadais, je partais, cela suffit à mon installation. Fugitif, je déposai mon barda là.

Transport

[p 147, Le Parnasse, Le parti pris des choses, Francis Ponge, éd poésie Gallimard, 2003 : « Je me représente les poètes dans un lieu plutôt qu’à travers le temps - Je ne considère pas que Malherbe, Boileau, Mallarmé me précèdent, avec leur leçon. Mais plutôt je leur reconnais à l’intérieur de moi une place - Et moi-même je n’ai pas d’autre place que dans ce lieu »].

Sémaphore

Je suis le chien de mes désirs; de mes propres aveux. Nous avions acheté d’autres livres, d’autres histoires. A quel prix ? Ils occupaient un territoire sans mouvement à cause de la colonisation rapide des casiers d’où ils débordaient maintenant, trouvant par-là, le prétexte pour l’installation de nouvelles étagères à monter à la hâte. Il m’arrivait, et encore aujourd’hui, de contempler ce travail en éprouvant la joie intime des tyrans je présume, c'est-à-dire  avec la satisfaction de ceux qui possèdent un empire de choses. Dans l’aisance de ma domination factice sur ces mondes bien réels, je voyais des dizaines de marque-pages pris en étau entre deux pages, parfois plus, suspendus au-dessus d’ouvrages dans l’attente d’un écart réalisé une fois par une lecture. Ils formaient une sorte de barrière discontinue plus ou moins rectiligne que j’avais fini par élever au gré de mes promenades romanesques. En fait, il me sembla qu’ils reliaient des vérités tendues. Et ces chiennes se payaient le luxe d’exhiber ma défiance à l’égard de mes épiphanies refoulées. Il y avait eu au moins dans ces interstices du temps, la croyance inouïe d’une brève amélioration de ma condition. Tous ces bouquins marqués par un vœu couleur volcan à défaire avec des envies sourdes en éruption . Il n’y avait là, en vérité, que des malentendus qui dépassaient des livres. Ils me servaient de signaux comme autant de sémaphores qui cadencent les voies de chemins de fer aux abords des grandes villes. Ils traçaient leur ligne dans la bibliothèque ; et peu importe la couleur des feux. Il fallait commettre l’adultère.


Isotropie

[L’isotropie : p.285, Les mots de la géographie, dictionnaire critique, Roger Brunet, éd. Reclus, la Documentation Française, 2006. Dont toutes les directions sont équivalentes. L’espace isotrope est un espace idéal, non dissymétrique, non orienté, non différencié, ce qui est parfois introduit dans la réflexion théorique d’économistes. Ant. : Anisotropie. L’espace géographie, si théorisé soit-il, ne peut par définition être isotrope.]

Arrêté

Les chemins véridiques. C’était le titre d’un ouvrage dans la masse inerte des livres. Il était mince. J’ai toujours eu une prédilection pour les livres légers, aux transports faciles, ne me fiant par-là qu’à mon érotique idiosyncrasie. Son titre, Les chemins véridiques, reflétait assez bien l’idée, d’après moi, idée peut-être un tantinet naïve, idée selon laquelle les écrivains nous avertissent : meurs ou crève. Il y a de quoi flipper, il y a de quoi faire l’autruche,  il y a de quoi faire !

Naïveté

[p 19, Sous Réserve, Hélène Frappat, éd. Allia 2004, p 24 : «… la naïveté est l’explosion de la droiture originellement naturelle à l’humanité contre l’art de feindre devenu une autre nature. » (Kant - in Critique de la faculté de juger)]

Couilles

Le 1er avril 2002, je proclamais mon indépendance. Je quittais mon épouse. J'allais voir ailleurs si j'y étais. Dans le fil du temps, de fil en aiguille, j’aime à parcourir l’univers à un rythme qui me convient, à un niveau qui est le mien. Je Quittais un désir fabriqué… pour un autre plus sûr. C’était une sacrée jolie fille rencontrée à Jussieu. C’était une fille qu'immédiatement j'ai trouvé jolie, inaccessible donc désirable, sympa, bourgeoise, mais sympa, mais bourgeoise, mais sympa, mais bourgeoise, mais sympa, mais bourgeoise ! Vous devez vous l’imaginer excessivement belle avec des yeux pers, un tatouage à la cheville, le Petit Prince que j'ai cru bon pouvoir remplacer. Elle avait une bouche je vous raconte pas, elle semblait  capable d'absorber la matière, et des seins je vous dis pas, des globes, et un popotin, une mappemonde, et... Jamais je n’ai goûté son miel. Est-ce que les mortels s’unissent aux dieux, les Trissotin aux nobles, les fantasmes aux illusions ? Après tout, les désirs ne sont-ils pas des prétextes d’évasions, clairsemés sur une cordée de fortune, une liaison grammaticale à soi afin de sortir de sa condition. Le 1er avril 2002, je dénonçai ma vie active, un GPS dans le trou-caca. Il y agréait la construction d’une maison à étages au milieu de ce fatras de pièces montées, d'histoires monstrueuses, des valeurs ajoutées que seraient les enfants, comprendre l’héritage pour les générations futures (mon cul !). Et même si je cours après avec beaucoup de  constance, l’idéal petit bourgeois, aussi exotique soit-il, ne me sied guère. Et ce, malgré mon instinct grégaire, arrive pas ! Aussi, je trahis l’union avant le déshonneur. A grand coup d’adultère je rompis l’amarre, avant le suicide. Qu’aurait dit le Seigneur ? Se sauver avec son âme, partir, fuir, prendre ses jambes à son cou, filer à l’anglaise, déserter : vivre en paix avec soi-même, non d’un chien ! Ne pas se voiler la face, être couillu plutôt. Mahométan, je mis du vin dans mon eau !


 Départ

 Je suis le chien de mes désirs. Provoquer les dix commandements, affronter les quarantièmes rugissants, le plus possible dépasser le cap Horn. C'était  l'avis de tous les voyageurs, infidèles aux quatre pans de mur de leur maison, décidément trop étroite pour contenir toutes les poudres d'affinités électives. L'homme part. Il voyage. Partout il se soulage. Je ne sais pas s'il est le fils de Dieu, mais c'est un fils de pute, un sacré même. Ah ça oui ! Morbleu ! Je buvais du rhum chaque jour. Il coulait à flot dans mes veines, à la place du sang. Le sang voulait sa place.

Pot-au-Noir

[p. 32, La longue route, Bernard Moitessier, éd J’ai lu, 2011 : « Je me nourris mal, je perds le mordant. J’ai laissé passer plusieurs occasions de faire un peu de route utile vers le sud parce que j’étais écœuré par la pluie, que je ne voulais pas mouiller, que je ne me sentais pas en forme, n’ayant pas pris un repas correct depuis plusieurs jours.
Quand la pluie tombe, elle n’est même pas utile…/… Pourtant j’ai récupéré cinquante litres entre hier et aujourd’hui, avec le seau suspendu pour cet usage sous la ferrure de bôme de grand-voile. C’était vraiment par principe, comme si je ne voulais pas quitter ce coin pourri avec les mains tout à fait vide.
Je me sens vide comme cette mer sans soleil, sans poissons, sans oiseaux, morte malgré cette garce de houle qui secoue le bateau et fait souffrir la voilure pour achever de m’effriter le moral. Il faut tenter de recoller tout ça, ne pas mollir, régler les écoutes vingt fois par heure, oublier la belle bonnette déchirée hier dans un grain, sortir à tout prix du Pot-au-Noir avant d’en avoir complètement marre de tout.]

Poudre

[Extraits d’un Journal de voyage entrepris sur le senau Duke of York parti de Liverpool le 24 août 1752. P 124, La traversée du Fleuve, Caryl phillips, éd de l’Olivier, 1995 :

« Le capitaine James Hamilton :

Samedi 19 septembre. Ai découvert ce matin que William Barber, tonnelier, s’était rendu coupable de percer un fût de bière réservé à l’usage de la cabine et de l’avoir rempli d’eau. L’ai fait mettre aux fers, et, les faits étant éprouvés, lui ai fait administrer douze coups de fouet.

Mercredi 21 octobre. Venant de sous le vent, le sloop Virtue, de la Barbade. Morris. Il a pris quarante esclaves à bord en deux mois. Ce qu’il dit du commerce, plus bas, est inquiétant. Le prix des esclaves est monté de 125 barres et même plus. Fait du troc avec le capitaine Morris pour quatre barriques de rhum à 4 shillings le gallon…

Jeudi 12 novembre : Ce matin j’ai envoyé à terre la barge avec Jacob Creed et George Robinson. Au lieu de retourner à Bord ils ont rendu visite à une Goélette française et se sont saoulés. Après quoi ils sont revenus à terre se battre, et quand ils ont été assez fatigués de se taper dessus ils ont essayé de partir. Mais comme le courant était fort et qu’ils étaient exténués pour bien ramer ils ont échoué sur les récifs. Je leur ai envoyé M. Foster qui a été obligé de leur passer une corde. J’ai fait administrer à ces deux gentlemen une bonne correction et je les amènerais bien tous les deux aux Amériques dans des chaînes s’il n’y avait le fait que nous sommes un vaisseau négrier… »]


Histoire de France
Ayiti cheri

Décembre 1802. Alors que ce siècle n’avait que deux ans, la France et l’Angleterre enterraient la hache de guerre. Le premier consul Bonaparte put se consacrer à la politique intérieure de la France, notamment dans les Iles d’Amérique, c’est ainsi qu’on les nommait alors. En 2010 leur appellation juridique est Départements Français d’Amérique. Ils regroupent la Martinique, La Guadeloupe et la Guyane. Saint-Domingue s'étant  affranchie, elle, du joug français. Elle a commis son adultère  le 1er janvier 1804 pour devenir Ayiti, première république noire, libre et indépendante : puissante. Depuis les premières révoltes nègres de 1791 sur l’île de Saint-Domingue, l’abolition de l’esclavage obtenue de fait en 1793 alors que la France s’apprêtait à entrer fatiguée dans les exubérances de la terreur, les Noirs pensaient tout haut leur révolution. On entendit les battements des tambours jusqu’à Paris. Makendal, Bookman, Toussaint s'occupèrent de tancer les oreilles de Bonaparte qui n'y comprenait rien aux solfèges africains. Le futur dictateur croyait pouvoir exterminer la révolte des rythmes, d'abolir les 500 000 danses de la liberté comme on éteint un buisson ardent avec des canons insensibles. Mais le boum du meurtre n'est pas celui du tambour. Le canon assassine la parole. Le tambour l'honore. Les tam-tams transmettent la parole dans la nuit, dans le noir, dans l'univers des mornes, Le tam-tam est l'arbitre du genre humain, il annule les décalages horaires, il parvient dans tous les habitats du monde : c'est le langage en extase. Il sert à dialoguer non pas à anéantir. Yon ti dans... On danse à deux. Même si l'on danse l'un contre l'autre, on ne danse pas contre l'autre. La danse ne relève pas de la violence, d'où qu’elle provienne. La danse est une énergie, une écoute respectueuse. La danse c'est l'union qui fait la force. Bonaparte n'est pas un républicain. Le rythme de l'autre ne l'intéresse pas. Il décida de rétablir l’ordre de la France à Saint-Domingue. Napoléon voulait y  restaurer les profits de l'île précieuse  grâce à son collier de perles... L'ESCLAVAGE. Au nom de la paix de tous, il promulgua un décret qu'il signa d'une pointe rouge.  Il y envoya  une grande armada, son armée de 33000 soldats. Il confia le commandement de l’expédition au général Victor Emmanuel Leclerc, le mari de sa sœur Pauline Bonaparte. Elle l'accompagna  dans cette expédition militaire à visée génocidaire. Elle, pensait davantage à l’exubérance des îles créoles, des sons, des parfums et des couleurs dont elle avait entendu parler (elle avait lu Paul et Virginie), qu’à cette lutte à mort à laquelle se livreront durant deux ans tyrans et anciens esclaves.
  D'une certaine manière, nous, Français, blancs, petits bourgeois, ignorant fondamentalement  tout de notre histoire et de surcroît, fantasmant bizarrement  l'idéal républicain dans Versailles et la cour de Louis XIV, obsédés par des voies royales, confondant pêle-mêle Victor Hugo, la Commune de Paris, Astérix et tous les dires de la famille Le Pen, Jeanne d'Arc et Zinedine Zidane, sommes à l'image de Mme Bonaparte : inconscients. Enfin presque ! Elle, au moins était une sacrée baiseuse, un drôle de danseuse, une sacrée fouteuse de... Quoiqu'il en soit, nous continuons de penser que  l'Outre-Mer nous doit tout alors que nous n'en finissons pas de lui être redevable, que nous sommes supérieurs aux autres, surtout supérieurs aux plus faibles aura-t-on au passage, remarqué, que les bananes saignant les reins de Joséphine Baker  continuent de faire les beaux jours de notre exotisme culturel et politique, de nos représentations consuméristes. Cet exotisme nous rend agréable ce qui est dégoûtant, masquant la réalité de notre racisme patenté, refoulé et inavouable. Pour nous, un Noir reste un Kirikou, un Arabe un bicot, une Roumaine une voleuse, un immigré un responsable de troubles à l'ordre public, les Antilles Descartes postales. Le syndrome de la dernière exposition coloniale, datant tout de même de 1931, ne nous hante même pas. Elle ne nous fait même pas peur cette exposition tellement elle demeure en nous comme un fait historique définitif, une évidence, une preuve de civilisation, un gage de supériorité, un mythe indestructible bien ancré en chacun de nous, Français, blancs, idéalement racistes ; jusqu'à quand ? Ce cauchemar....

Adultère

[p 88, Le Royaume de ce monde, Aléjo Carpentier, éd. Gallimard, folio, 2006 : « Dès l’embarquement, Pauline s’était sentie un peu reine à bord de cette frégate chargée de troupe qui voguait vers les Antilles et dont les cordages grinçaient au rythme des vagues aux larges oscillations…/… Pauline qui malgré sa jeunesse s’entendait fort en hommes, se sentait délicieusement flattée par les désirs de plus en plus ardents qui se dissimulaient les révérences et les attentions dont elle était l’objet. Elle savait quand les lanternes se balançaient dans le haut de mâts, dans les nuits toujours plus étoilées, des centaines d’hommes rêvaient à elle dans les cabines, châteaux et entreponts. Aussi aimait elle faire semblant de méditer, tous les matins, sur la proue de la frégate, près de l’armure du mât de misaine, se laissant décoiffer par un vent qui lui collait à ses vêtements au corps et révélait la forme superbe de ses seins. »]

Fantasme

Tous ces lampions qui éclairaient dans la nuit mes vices obscurs, toutes ces preuves de vie, toutes ces puissances enrayées, ces desseins inachevés, ces points d’ancrage, ces débuts de quelque chose, tous ces arrêts d’adultères déposés là. Voilà ce que je possédais en réalité.


[p190, Dublinois,  James Joyce, éd. Gallimard, folio, 2000 :

MORT D’UNE DAME A SIDNEY PARADE
UN CAS DOULOUREUX

« Aujourd’hui, à l’hôpital Civil de Dublin, le coroner adjoint (en l’absence de Mr Leverett) a ouvert une enquête au sujet de la mort de Mrs Emily Sinico, âgée de quarante-trois ans, tuée hier soir à la gare de Sidney Parade. Les témoignages indiquent que la victime a été renversée par la locomotive de l’omnibus de dix heures en provenance de Kingstown, alors qu’elle tentait de traverser la voie, et qu’elle a subi de ce fait des blessures à la tête et au côté droit qui ont entraîné  la mort. James Lennon, conducteur de la locomotive, déclara qu’il était au service de la Compagnie depuis quinze ans. Au coup de sifflet du chef de train, il avait mis la machine en marche et une seconde ou deux plus tard il l’avait immobilisée, en réponse aux grands cris qui se faisaient entendre, le train allait lentement. » ]

Jalousie

Avril 1999. Un Mardi. Il faisait beau. Le week-end pascal était fini. Elle n’était pas là. Je ne faisais pas de mourons. Elle était allée à Amsterdam. A midi, mon chef de service entra dans le bureau d’un coup : « J'ai une mauvaise nouvelle, Vanessa, la jeune étudiante qui prend ses repas au lycée est décédée, voilà.» Le chef de service se retira comme il était apparu. J’étais seul. Dedans c’était pire. Le ciel me tomba littéralement sur la tête. Le petit monde que je m’étais fabriqué s’écroula en un claquement de doigt, comme ça, tac, d'un coup. Ensuite... Je me réveillai tragiquement. C'était la première fois que je voyais Dieu d’aussi près. Je suffoquais. Vanessa avait disparu dans un accident de voiture du côté de Spa en Belgique. Sur l’autoroute, en  Belgique, il n’y a pas de rails de sécurité au centre. Leur voiture a coupé le terre-plein central d’un trait mortel comme un coup de guillotine. Elle a percuté une autre berline de plein fouet, toute une famille néerlandaise écrabouillée. Je ne me souviens plus très bien des circonstances précises de l’accident décrites dans le journal local. Vanessa mourra durant son transfert à l’hôpital. On m’avait annoncé la nouvelle au travail. C’est là que je l’avais connue. Nous déjeunions souvent le midi au réfectoire avant de nous reposer dans le parc du lycée. Nous bavardions à l’ombre d’un grand chêne ombrageux qui nous protégeait des rumeurs brûlantes de l’amour. Avant que le soleil ne pointe à son zénith, elle reprenait ses cours, tandis que  j’allais somnoler au-dessus de quelques dossiers du personnel. Nous nous retrouvions à la sortie pour prendre un bus, un verre et continuions nos discussions sans fard, ni intérêts, si ce n'était celui de la légèreté. On se regardait tranquillement à travers nos paroles, aux prises avec les libertés évanescentes. Vanessa avait 22 ans ; et je ne vous laisserai pas dire que c’est le plus bel âge de la vie. Il faisait beau, un jour d’avril, un mardi. Je l’attendais pour aller déjeuner... et puis vous savez.  Tout devint vanité. J’étais marié, c’est vous dire ! Mes prières infinies dans la nuit trop courte provoquèrent la jalousie de ma femme :  « ce n’est pas pour moi que tu pleurerais comme ça ! ». Je trouvai d’autres coins pour pleurer en cachette dans la nuit du jour. Cela dura des mois. C’est qu’elle me plaisait cette Vanessa, son visage laiteux, des yeux étincelants, des lèvres rouges aux coins arrondis, une longue chevelure bouclée, frisottante et blonde  qu’elle ramenait parfois au-dessus de sa tête libérant sa nuque blanche, haute et altière où j’imaginais pouvoir peindre mon talent amoureux. Et puis, et surtout, il y avait chez Vanessa cette âme qui dansait dans les airs, plus près d'Athéna au yeux pers que des couillons dangereusement mortifères. Elle semblait séparée des pesanteurs terrestres et des ronrons de la doxa tueuse. Quiconque l'avait rencontré savait cela; mon épouse  y compris.  Et vlan ! Dieu nous l’avait ravi.


Séparation


[p 133, La Marquise d’O, Les fiancées de Saint-Domingue, Kleist, éd.GF, 1990 : « A peine m’avait-on rapporté cette effroyable nouvelle que je sortis aussitôt de la cachette où je m’étais réfugié, et tandis que, fendant la foule, j’accourais vers le lieu d’exécution, je hurlais : «  Tyrans, me voici ! » Mais elle, qui était déjà montée sur la plate-forme de la guillotine, répondit à la question de quelques juges – à qui malheureusement il fallut que je fusse inconnu – en se détournant de moi avec un regard qui reste ineffaçablement imprimé dans mon âme : «  je ne connais pas cet homme ! » Et là-dessus, au milieu du brouhaha et des roulements de tambour, le couperet, déclenché par ces hommes impatients de voir couler le sang, tomba quelques instants après, séparant la tête du tronc. »]


Désir

[p.88 Rosemonde, Alcools, Guillaume Apollinaire, nrf, poésie/Gallimard, 2000

… Je la surnommai Rosemonde
Voulant pouvoir me rappeler
Sa bouche fleurie en Hollande
Puis lentement je m’en allai
Pour Quêter la Rose du Monde].

dimanche 23 octobre 2011

Charles Baudelaire : histoire et territoire de la langue



                   
           
 Correspondances

La nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l'expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.


En 1967, Emile Benveniste écrit une poétique à partir de Baudelaire où il propose de « coordonner la théorie de la littérature et celle du langage ». En étudiant Baudelaire, Benveniste regarde comment le poète s’oppose à la société grâce au langage. La langue poétique devient une critique du langage ordinaire. Benveniste envisage la pensée des « correspondances » chez Baudelaire comme une poétique à partir du poète. Il aborde, sur la base d’une anthropologie du langage, la question des homologies à travers une ontologie du poète créateur. A travers sa théorie sur le langage, Benveniste élabore une réflexion générale sur l’homme. Il crée le lien entre langage et culture : le langage étant « selon lui la définition même de l’homme » (Problème de Linguistique Générale p.259). «  La langue naît et se développe au sein de la communauté humaine, elle s’élabore avec le même procès que la société, (…). (PLG 2 ; 95).
Pour Benveniste la langue est l’interprétant de la société, la langue contient la société : « on peut isoler la langue, l’étudier et la décrire pour elle-même sans se référer à son emploi dans la société, ni dans ses rapports avec les normes et les représentations sociales qui forment la culture. (…) Tandis qu’il est impossible de décrire la société, de décrire la culture, hors de leurs expressions linguistiques. En ce sens la langue inclut la société, mais elle n’est pas incluse en elle » (PLG2. 95 ; 96). 
L’intérêt que porte Benveniste au langage poétique montre que celui-ci permet la critique du langage ordinaire. En étudiant Baudelaire, Benveniste analyse comment le poète s’oppose à la société grâce au langage. Le poète nous apprend la vérité en nous dévoilant la réalité. Le langage n’est pas une culture mais une nature. A travers cette étude, à partir du poème de Baudelaire, c’est à une anthropologie du langage que Benveniste nous invite en replaçant en quelque sorte le « langage dans son milieu naturel. » J.P. Richard, dans « Poésie et Profondeur p. 159», ne dit pas autre chose à propos de Paul Valéry écrivait qui dans Pièces sur l’art que la langue n’est pas uniquement un outil de communication : « toute littérature qui a dépassé un certain âge montre une tendance à créer un langage poétique séparé du langage ordinaire, avec un vocabulaire, une syntaxe, des licences et des inhibitions, différents plus ou moins communs. Le relevé de ces écarts serait très instructif (…). » (P. Valéry. Pièces sur l’art, Gallimard, Edition de La Pléiade T.II p. 1264)

Chez Benveniste, cette anthropologie du langage se construit par un travail critique ontologique : [Baudelaire et le langage - « Tout y parlerait à l’âme en secret, sa douce langue natale ».]
Baudelaire évoque à la fois la perte et la nostalgie de ce qui est natal. C’est la perte de l’être aimé. Benveniste pense le poème de Baudelaire comme un retour à l’antique, retour qui s’opère dans le langage intérieur. L’expression « langage intérieur » désigne dans la tradition philosophique une conception non pas tant liée au langage qu’à la pensée. C’est un dialogue intérieur et silencieux avec l’âme elle-même. « Le « monologue » est un dialogue intériorisé, formulé en langage intérieur », entre un moi locuteur et un moi écouteur (…). La forme linguistique que prend cette intervention diffère selon les idiomes, mais c’est toujours une forme personnelle » (PLG 2, 85 ; 86). Benveniste relie « langage intérieur » et « dialogue ». « Cette transposition de dialogue en « monologue » où EGO tantôt se scinde en deux, tantôt assume deux rôles, prête à des figurations ou transpositions psychodramatiques : conflits du « moi profond » et de la conscience », dédoublements provoqués par l’inspiration, etc. » (PLG 2, 86)
Cette condition du dialogue à partir de la poésie chez Baudelaire implique pour Benveniste le « sujet », lequel implique l’être. L’être ne serait plus, uniquement une essence, mais la correspondance du double. Dans l’article « De la subjectivité du langage », nous trouvons : « C’est dans et par le langage que l’homme se constitue comme « sujet ». La subjectivité dont nous traitons ici est la capacité du locuteur à se poser comme « sujet ». Elle se définit, non pas par le sentiment que chacun éprouve de lui-même (…) mais comme l’unité psychique qui transcende la totalité des expériences vécues qu’elle assemble, et qui assure la permanence de la conscience. (…) Est « ego » qui dit « Ego ». (…) La conscience de soi n’est possible que si elle s’éprouve par contraste. Je n’emploie je qu’en m’adressant à quelqu’un, qui sera dans mon allocution tu. C’est cette condition de dialogue qui est constitutive de la personne, car elle implique en réciprocité que je deviens tu dans l’allocution de celui qui à son tour se désigne par je. (…) Ainsi tombent les vieilles antinomies du « moi » et de l’«autre », de l’individu et de la société. De la subjectivité du langage. (in PLG, 259, 260). Benveniste nous montre qu’il n’y pas d’essence du je mais que je est double. Benveniste parle de conjointure des « correspondances » : [Constance et variations de l’être chez Baudelaire - Le principe est celui-ci : chez Baudelaire (l’ontologie est primordiale et spécifique : ontologie d’identité entre deux) l’être est ce qui conjoint la créature vivante et souffrante à la nature belle impassible] ou encore : [Baudelaire et le langage : « Baudelaire est un poète qui ne parle pas pour qui le langage s’abolit en chose. La poésie est le moyen de faire, réaliser les correspondances (parfums couleurs sons) cf. (53) tout y parlerait sa douce langue natale » qui est justement l’harmonie de ces correspondances.] Dès lors, la pensée du poème, ce retour à un antique primordial suggère cette autre idée forte de Benveniste : « Prise en elle-même, la pensée est comme une nébuleuse où rien n’est nécessairement délimité. Il n’y a pas d’idées préétablies, et rien n’est distinct avant l’apparition de la langue. » (PLG 1,51). Benveniste reprend là une idée forte du Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure. Dans ses notes sur Les Fleurs du Mal, Baudelaire écrit : « la phrase poétique, peut imiter la ligne horizontale, la ligne droite ascendante, la ligne droite descendante…qu’elle peut suivre la spirale, décrire la parabole, ou le zigzag figurant une série d’angles superposés » et Jean-Pierre Richard de conclure à propos de la phrase poétique chez Baudelaire : « Elle est entre ses mains un instrument pliable à toutes les figures. Mais cette réussite aurait été bien impossible si entre le langage, esprit et réalité, n’avaient à priori existé certains rapports internes, certaines analogies de structure. (…) » (Poésie et profondeur ; 159)

En écrivant sur Baudelaire, Benveniste, élabore une poétique à partir de Baudelaire. Sa théorie du langage rend possible cette poétique. Le poème Correspondance est un modèle poétique de théorie littéraire. Ce que Baudelaire nomme « correspondance », Benveniste l’appelle « homologie ». Dès lors, théorie de la littérature et théorie du langage se coordonnent. [Importance de la juxtaposition - Baudelaire est l’homme qui unifie confond des champs distincts de perception et des séries parallèles de termes, en établissant des correspondances poétiques (= créatrices). Je crois que correspondances est le mot-clé de sa poétique.]
Dans son Introduction à la poétique, G. Dessons nous fait observer que : « l’ensemble des composantes du langage participe, dans le discours, à la production du sens – et à la constitution de la « représentation » - la grammaire, en tant que discipline, est englobée dans la poétique ». 
Nous voyons dans les cinq feuillets présentés ici comment Benveniste construit sa théorie. Dans « Procédé de la comparaison », « Importance de la juxtaposition », Benveniste s’appuie sur des catégories de la langue. « Il semble utile d’aborder le problème par la voie des « catégories » qui apparaissent en médiatrices » (PLG1, p.65).
Benveniste nous rappelle un principe sémiotique : « deux systèmes ne peuvent pas cœxister en condition d’homologie, s’ils sont de nature différente. »(PLG2 96)
 « La base de la structure linguistique est composée d’unités distinctives, et ces unités se définissent par quatre caractères : elles sont des unités discrètes, elles sont en nombre fini, elles sont combinables et elles sont hiérarchisées (…). La structure de la société ne peut être réduite à ce schéma, elle est de nature double. Il y a d’une part un système relationnel, qui est appelé système de la parenté ; et de l’autre, un autre système de relation, de division, c’est le système des classes sociales qui est agencé par les fonctions de production. Or, ni les individus ni les groupes variés d’individus ne peuvent se transposer en unités ou groupes d’unités comparables à celle de la langue. (…) Il faut prendre conscience des implications que portent la notion de langue et celle de la société quand on entreprend de les comparer ». (PLG 2 ; 93). Le Poète est dans la société mais, par le langage poétique, il en devient l’interprétant.
Benveniste explique comment, à partir « de messages conventionnels, produits dans une typologie également conventionnelle », s’effectue une « transposition d’une énonciation verbale en une représentation iconique, quelles sont les correspondances possibles d’un système à un autre et dans quelle mesure cette confrontation se laisserait poursuivre jusqu’à la détermination de correspondances entre SIGNES distincts ».
Benveniste pose la question du rapport sémiologique, rapport entre deux systèmes  linguistique et poétique : [Baudelaire, 23, f°4 – f°327 : Le problème de la poésie, c’est de faire passer les mots, de l’état conceptuel de signes, à l’état actuel d’icônes. (Icones très particuliers, car ils évoquent l’objet, ils l’installent dans sa présence) –: Mais l’expérience des choses les fait passer en moi. Les choses deviennent moi, elles sont désormais intériorisées. Et c’est alors qu’elles deviennent poésie]. Il établit une correspondance. Chez Baudelaire, le monde n’est pas décrit. Il compare. [Correspondances (suite) – Importance et fréquence de ‘comme, ainsi quel, à l’égale de, semblable, pareil ». Il poète compare, il n’explique ni ne décrit. ]
Par ailleurs, Benveniste fait remarquer que « les correspondances » de Baudelaire, ne sont qu’à Baudelaire. Elles organisent son univers poétique et l’imagerie qui le reflète ».
« Baudelaire » et « Constance et variations de l’être chez Baudelaire », montrent l’intérêt de Benveniste pour le concept de l’inconscient et de la relation qui en découle avec la langue: « Nous faisons de la langue que nous parlons des usages infiniment variés. Dans leur diversité, ces usages ont cependant deux caractères en commun. L’un est que la réalité de la langue y demeure en règle générale inconsciente…/… l’autre est que, si abstraites ou si particulières que soient les opérations de la pensée, elles reçoivent expression dans la langue » (PLG1, 63). 
L’anthropologie du langage repose chez Benveniste, sur l’idée que « le langage enseigne la définition même de l’homme. » (PLG1, 259). Benveniste inscrit l’œuvre poétique à partir du sujet qu’il situe dans l’histoire, dans sa critique ontologique, Benveniste montre qu’il existe un être dans la littérature qui se réalise dans le discours indépendamment des formes du discours : « Le discours prosaïque est le discours de la pensée, de démonstration ou de raisonnement. Le discours poétique n’a que l’appareil du discours : la matière en est l’expérience du poète, sa rêverie, sa vision, et il tend à éveiller l’analogue chez le lecteur » (Baudelaire, 23, f°15 – f°338). Le poète nous apprend la vérité en nous dévoilant la réalité passant de la langue ordinaire à la langue poétique. Pour Benveniste, « les signes linguistiques communs à tous deviennent intériorisés, des vocables sans pareils, des dénominations recréantes (…). En coordonnant théorie de langage et théorie poétique, Benveniste tend à démontrer que le langage ne fait pas que nommer les choses. La langue poétique réinvente la grammaire et prouve à partir du poète l’altérité de l’être. 

lundi 17 octobre 2011

Le Pont des Troubles



Aisey-sur-Seine, Côte d'Or, Le Pont des Troubles

J'étais venu voir à quoi ressemblait Le Pont Mirabeau de Guillaume Apollinaire. De prime abord, il n’y avait rien d'extraordinaire. C’est normal. Ce n’est pas l’œuvre du poète mais celle de Jean Resal, inspecteur général des Ponts et Chaussées (Un juge de paix comme M. Porchauron adorerait : des bâtisseurs d’histoires lisses, sans rendement. Paris qui charrie les périphéries, la zone par-dessus les méandres de nos talwegs. Paris qui tarit leurs caractères, de peur. Paris, flatteuse dresseuse anachronique ! Oh oui ! Porchauron, le rouge au pif, jubile : des plans crus à revendre, des pierres médusées, la nef qui touche, la nef qui coule la Seine sans issue et avec pour solde de tout compte, Paris ne pensant qu’à Versailles). Alexandre III, le pont, c’est Jean Resal aussi. J'étais venu voir à quoi ressemblait Le Pont Mirabeau de Guillaume Apollinaire.
A.S. Saint-Etienne - Bayern de Münich. 12/05/1976
L’eau de la Seine est verte comme des prairies en Arcadie ? Mouais ! Plus vraisemblablement, je dirais que cette mare est plutôt verte comme le maillot des anges de Saint Etienne brûlé  sur l'hôtel tragique à Glasgow ce soir en finale, où rien n'était rond, ni les ballons, les poteaux, les alcoolos, où les verts défilèrent sur les Champs, à la soupe à la grimace. En tout cas, elle est verte comme la Seine dans mon village (département 21) où je n’ai ni stagné, ni obéi, ni désobéi. Il y a un pont là-bas aussi, dans cet endroit magnifié, touché-coulé. On l’appelle : Le Pont des Troubles.

Troubles comme mes souvenirs faciles aux abords d’une route nationale entre chien et loup, troubles comme le vert de ces femmes proues du Pont Mirabeau tombées des nefs dans les oubliettes de cette vieille rivière, d’où l’on entend leurs voix sous-marines qui me bouchent l’ouïe. Elles sont géantes, grandes, loin. Aller aborder l’une d’entre elles ? Pendre ma chance ? Je décidai d’aller à sa rencontre, chatouiller en l'air la potence. Une me regarda décidément là-hautCelle avec les lourdes mamelles côté aval. Le vertige est un vide, une question sans tête. Au dernier moment, près de la conjointure, j’ai eu peur de sauter.   Nos regards s’étaient croisés. J’avais baissé les yeux. J’avais eu un peu honte. Peut-être était-ce dû à ce rêve bizarre que je fis une nuit au bord de la vieille rivière restée loin derrière, où les songes nous retiennent en amont. Mais les rêves, après tout, ne sont-ils pas des bizarreries, des arrière-pensées pleines d’excuses, des singeries pesantes ?J’étais venu voir à quoi ressemblait Le Pont Mirabeau de Guillaume Apollinaire.
Haïti, 12 janvier 2010
Mon père était à genoux, les bras dans le dos, poignets croisés, force ligotée, le cou renversé au pied d’une croix dressée dans le bois d’un arbre à pain centenaire de son grand jardin. Il avait le torse nu, une plaie de pur sang en plein sein où la Seine coulait dans son cœur.