lundi 6 juin 2011

Un fil à la patte (version remasterisée Comédie Française)


13h 45. Comédie Française. Salle Richelieu. Baignoire. Un fil à la patte de Georges Feydeau. Mise en scène Jérôme Deschamps.

Avec : Dominique CONSTANZA l la Baronne I Claude MATHIEU Marceline I Thierry HANCISSE le Général I Florence VIALA Lucette I Céline SAMIE Nini I Jérôme POULY Jean I Guillaume GALLIENNE Chenneviette et Miss Betting I Christian GONON Firmin I Serge BAGDASSARIAN Fontanet I Hervé PIERRE Bois d’Enghien I Gilles DAVID Antonio I Christian HECQ Bouzin I Georgia SCALLIET Viviane I Pierre NINEY Émile et l’Homme en retard I Jérémy LOPEZ le Concierge et le Militaire et les élèves-comédiens de la Comédie-Française Antoine Formica Musicien 1, Invité 1 et le Prêtre, Marion Lambert la Femme aux enfants et Musicienne, Ariane Pawin la Mariée et Invitée 2, François Praud Musicien 2 et le Marié et Sandrine Attard la Femme du couple et Servante, Agnès Aubé la Mère de la Mariée, Musicienne et Invitée 3, Patrice Bertrand Lantery et le Père de la Mariée, Arthur Deschamps le Fleuriste, Laquais 2 et Agent 2, Ludovic Le Lez l’Homme ducouple, Laquais 1 et Agent 1, et les enfants (en alternance), avec la participation de la Maîtrisedes Hauts-de-Seine Hadrien Berthonneau, Oscar Cortijos, Chabane Jahrling Petit Napoléon, Suzanne Brunet, Coline Catroux, Margaux Selle Petite Fée.



Comme à chaque fois que je me rends à la Comédie Française, je m’installe dans un de ces fauteuils lourds et rouges, pas si confortable. Là, et c’est presque instinctif, je souhaite très fort que la représentation soit déjà terminée. Avec l’inquiétude maladive qui rend tarer un type sain en type psychotique car sûr de louper son train à cause des bouchons du matin, je veux connaître la durée de la pièce. Je passe le synopsis, la distribution, les considérations convenues du metteur en scène, de la décoratrice et des luminaires. Où est fiché dans ce satané programme ce qu’il y de plus important pour moi à ce moment-là : la durée. Je dois avouer ici, que la plupart du temps, davantage pressé, immédiatement en arrivant je demande à ma compagne d’aller trouver elle-même la durée. Stupéfaite, elle me lance un œil torve et me dit laconiquement mais avec force de conviction : «là où tu sais !» Aujourd’hui 2h30 avec entr’acte. Aïe ! C’est long. Au moins y a-t-il la perspective d’une coupe de bière à la mi-temps. Ca compense à peine mon ennui d’être là. Je regarde machinalement ma montre sans arrêt pour qu’enfin la pièce débute. Ce n’est pas que j’ai hâte que la représentation démarre, mais plus vite ça commencera, plus vite ça se terminera. Ça démarre toujours pile à l’heure à la Comédie Française. Ils sont les meilleurs dans ce registre. Applaudissement du public.
Avec Feydeau c’est presque toujours la même histoire. Texte et mécanique théâtrale sont le génie même de l’auteur dans le genre, peut-on entendre dans les coulisses de tous les théâtres, où encore dans les salles de cours des universités. Ainsi l’acteur Guillaume Gallienne de la Comédie Française et qui joue en alternance dans Un fil à la patte (Chenneviette et Miss Betting), nous dit que face aux personnages de Feydeau, nous sommes tous identiques, lui et vous, vous et moi, et que l’acteur, pas plus que le spectateur n’a vraiment de prise sur les personnages. Il sera simplement appelé, à cause de sa nature de comédien, à se laisser prendre dans la mécanique explosive du théâtre de Feydeau. Bref, Feydeau : c’est génial ! Pourtant cet après-midi je m’ennuie dur et d’emblée. Est-ce la pièce, la bière qui n’arrivera pas de sitôt, les décors, qu’à cet instant je n’ai pas encore découverts, les comédiens enturbannés, je présume, dans des costumes d’époque ? 
L’époque justement. Le théâtre de Feydeau aussi génial soit-il, n’est-il pas quand même, la critique acerbe d’un groupe social bien repéré dans un temps, un lieu ? Le temps où les bourgeois parisiens finissaient de s’apprivoiser en tant que tels (fils de putes !).

Georges Feydeau
La Comédie Française ne fait jouer que les pièces du répertoire, n’est-ce pas ? C’est là même sa fonction. Aussi cette institution, en représentant des œuvres du passé, car, qui dit répertoire théâtral, dit passé, histoire des idées et histoire tout court (ne soyons pas trop exigeant, restons pédagogique), aurait pour mission de nous les faire comprendre et de nous amener à en tirer des leçons, des idées, des réflexions utiles à l’esprit de notre temps. Hors, et c’est là que je rencontre mon ennui ! Allons bon ! Au lieu de tirer ces œuvres phénoménales en leur temps vers nous, la Comédie Française nous plonge dans l’anachronisme le plus triomphant, soumise à l’idéologie régnante qui veut tout niveler, et voudrait nous faire croire par-dessus le marché que nous ressemblons tous à cette « tribu » d’antan ou plus subtilement que ces anciens sont pareils à nous. Chez Feydeau, à l’instar du théâtre grec et de sa tragédie, la théorie d’Aristote sur la catharsis, de manière flagrante, prend toute sa place en 1893 en ce qui concerne la communauté bourgeoise parisienne. Mais qu’est-ce que ce théâtre peut-il, aujourd'hui, nous apporter  de ce point de vue si Aristotélicien ? A coup sûr, Le fil à la patte de Jérôme Deschamps à la Comédie Française n’a pas cette prétention, cette dimension intellectuelle, de nous dire ce qu'est un texte du répertoire, encore moins cette ambition et ce devoir de culture pour chacun : l’éducation. Cette programmation s’apparente plus à une vaste opération de racolage. On va nous dire qu’il en faut pour tous les goûts dans une grande démocratie comme la nôtre. Cela justifie le drainage des admirateurs des Clavier et autres Dani Boon, habitués des grands boulevards d’aujourd’hui vers le Français. Car quand on voit Christian Hecq (Bouzin), dirigé par son metteur en scène, en faire des caisses, et des grimaces, et des cascades à n’en plus finir, et des contorsions du corps en 3D, et prendre la voix de débile de Boon, et que cette performance lui a, en plus, valu une récompense ? Merde ! En concentrant tout sur cet acteur et son jeu spectaculaire, le metteur en scène décentre le système mécanique autour duquel les dialogues et les actions s’ajustent au millimètre dans les pièces du grand Georges aussi brillamment  que les planètes autour du soleil dans le système solaire. Bref, J. Deschamps est tombé dans le panneau : on ne s’affranchit pas du travail d’écriture de Feydeau. Mais il ne faut surtout pas s’y tromper, le public adore les ratés. Il applaudit avant même que le coup parte. Des journalistes patentés, dont la solide formation littéraire ne fait aucun doute (le CELSA réside à la Sorbonne après tout) leur font dire que quiconque veut en faire des caisses chez Feydeau, il y est chez lui. Ben voyons ! Nous attendons les pets la prochaine fois en plus des doigts dans le nez, avec des vrais handicapés mentaux, Steevy, et Bernard Tapie, pour qu’on se marre encore un peu plus. Au moins retrouverions-nous l’accent naturaliste de cette fin du XIXème, associé à notre humanisme colonial tendance d’aujourd’hui. La Comédie Française n’invente pas un public en puisant dans les grandes œuvres littéraires qu’elle manipule, elle suit le goût du marché pour les farines animales, et par là-même nous signifie qu’il n’y a aujourd’hui aucune différence entre un Dani Boon et Georges Feydeau. Bien sûr des normaliens pourront toujours ergoter en psalmodiant que ce dernier est un génie, pas l’autre. Ça se saurait ! Et tout le monde pourra même tomber d’accord sur ce point ; rue des écoles.
Dire que Feydeau est un brillant dramaturge est une lapalissade qui ne sert à rien, juste à se gausser entre amis dans les dîner en ville entre petits merdeux et pédants. Ainsi est l’air du temps, ainsi la Comédie Française donne dans le pléonasme et la démagogie au lieu de donner de la voie, ainsi je m’ennuie à devoir chercher midi à quatorze heures.

1 commentaire:

  1. qu'allait-il faire dans cette galère ?
    un autre symptôme est d'aller au spectacle à contrecoeur...
    comment se fait-il ?

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