mercredi 29 juin 2011

Maison de Balzac


Numéro 47 de la rue Raynouard dans l’ancien village de Passy. C’était très paisible comme dans un village effectivement.
Je m’étonne !
 Je stoppe ma marche. Le 47 est la seule partie dans la rue qui n’est pas dans l’alignement des autres immeubles. La maison de Balzac est à flanc de coteau. Je la surplombe. Située à cinq, voire six ou sept mètres en contrebas, la demeure paraît recluse à la marge des petits tumultes de l’ancien village paisible de Passy. Quelques arbres ombrageux, un long rectangle arrondi, une grosse pelouse au milieu, des petites allées pavées dedans, un jardin en fleurs jouxtent cette maison dans un ensemble simple : harmonie d’une éternité où l’on se sent bien. L’endroit, immédiatement agréable et accueillant, surprend Paris.
Je reprends.
Je descends l’escalier de pierre qui mène à un rez-de-jardin où s’offrent à vous une jolie petite entrée, une verrière de fer et de verre. Là, sur le perron, on se sent enfin arriver, chez soi. On entre à l’intérieur du temps. La présence d’objets intimes de l’écrivain et aussi, peut-être, le fait d’appuyer mes pas sur ce sol travaillé par des tours de bras bien au-delà de Balzac me procure une satisfaction de proximité d’outre-temps je crois. Comme pour n’importe quel hôte, il y a des règles à observer.
Ici, il faudra suivre les flèches. Suivons-les alors ! La visite débute. Je suis reçu par les portraits de Mme Hanska. Je suis intimidé, comme toujours lors de mes premières rencontres, surtout Mme Hanska voyez-vous. Une femme qui a aimé et fut aimée. Aimer. Toujours aimer. Je m’interdis de ne pas aimer. Alors je me perds dans des pensées amoureuses, mes lointains effervescents, ventôse . Elles occupent une grande partie de mon corps et de mon temps.
Je lis Balzac : « Vous ne savez donc pas qu’il n’y a rien de plus exigeant que le monde de Paris. Qu’il vous veut tout entier, qu’il n’y a que la solitude pour un homme qui travaille 16 heures par jour. Aussi, vis-je dans mon trou de Passy comme un rat ». J’avance comme tout visiteur d’un pas public.
J’entre dans une autre pièce, presque carrée celle-ci. On y trouve des objets ayant appartenu à l’écrivain. Encore ? murmure un imbécile. C’est quand même censé avoir été sa maison ! A l’intérieur du carré, il y a une bibliothèque, il y a ses livres. Des œuvres de Jean-Jacques Rousseau y reposent à égalité sur une étagère. Mais davantage mesuré, je remarque dans cette pièce, ce fauteuil aux accoudoirs usés et dont la tapisserie toute entière semble avoir été élimée par son seul propriétaire à force d’y avoir séjourné. Devant le fauteuil, la table de travail creusée en son centre par Balzac en son temps. Elle semble avoir été fendue en deux, ouverte, comme la Mer Rouge brisée  pour Moïse afin qu’il libère les Enfants d’Israël. Sur cette table, Balzac, entre ces deux bords, y conduit le peuple de la Comédie Humaine. A l’intersection de ces deux mers racées, de l’Histoire du monde, de la littérature, ce coup de canif dans l’éternité, une néréide d’humilité vient m’arracher à mon autosuffisance même de gratter la croûte terrestre. Bienfaitrice, elle me fait oublier pour quelques minutes l’état amoureux dans lequel je me trouvais et qui me rendais niais. Je suis planté devant cette table littéraire où tout du moins, au bord de l’un de ses affluents. Je lis Balzac : « La mission de l’art n’est pas de copier la nature mais de l’exprimer …/… Nous avons à suivre l’esprit, l’âme, la physionomie des choses et des êtres. Ni le peintre, ni le poète, ni le sculpteur, ne doivent séparer l’effet de la cause qui sont invisiblement l’un dans l’autre ». Je quitte le 47 de la rue Raynouard, harmonie d’une éternité où l’on se sent bien, plus humble mais presque aussi niais…

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