Numéro 47 de la rue Raynouard dans
l’ancien village de Passy. C’était très paisible comme dans un village
effectivement.
Je m’étonne !
Je stoppe ma marche. Le 47 est la seule partie
dans la rue qui n’est pas dans l’alignement des autres immeubles. La maison de
Balzac est à flanc de coteau. Je la surplombe. Située à cinq, voire six ou sept
mètres en contrebas, la demeure paraît recluse à la marge des petits tumultes
de l’ancien village paisible de Passy. Quelques arbres ombrageux, un long
rectangle arrondi, une grosse pelouse au milieu, des petites allées pavées
dedans, un jardin en fleurs jouxtent cette maison dans un ensemble simple :
harmonie d’une éternité où l’on se sent bien. L’endroit, immédiatement agréable
et accueillant, surprend Paris.
Je reprends.
Je descends l’escalier de pierre qui
mène à un rez-de-jardin où s’offrent à vous une jolie petite entrée, une
verrière de fer et de verre. Là, sur le perron, on se sent enfin arriver, chez
soi. On entre à l’intérieur du temps. La présence d’objets intimes de
l’écrivain et aussi, peut-être, le fait d’appuyer mes pas sur ce sol travaillé
par des tours de bras bien au-delà de Balzac me procure une satisfaction de
proximité d’outre-temps je crois. Comme pour n’importe quel hôte, il y a
des règles à observer.
Ici, il faudra suivre les flèches. Suivons-les alors ! La visite
débute. Je suis reçu par les portraits de Mme Hanska. Je suis intimidé, comme
toujours lors de mes premières rencontres, surtout Mme Hanska voyez-vous. Une
femme qui a aimé et fut aimée. Aimer. Toujours aimer. Je m’interdis de ne pas
aimer. Alors je me perds dans des pensées amoureuses, mes lointains
effervescents, ventôse . Elles occupent
une grande partie de mon corps et de mon temps.
Je lis Balzac : « Vous ne savez donc pas qu’il n’y a rien de plus exigeant que le monde
de Paris. Qu’il vous veut tout entier, qu’il n’y a que la solitude pour un
homme qui travaille 16 heures par jour. Aussi, vis-je dans mon trou de Passy
comme un rat ». J’avance comme tout visiteur d’un pas public.
J’entre dans une autre pièce, presque
carrée celle-ci. On y trouve des objets ayant appartenu à l’écrivain. Encore ?
murmure un imbécile. C’est quand même censé avoir été sa maison ! A l’intérieur
du carré, il y a une bibliothèque, il y a ses livres. Des œuvres de
Jean-Jacques Rousseau y reposent à égalité sur une étagère. Mais davantage
mesuré, je remarque dans cette pièce, ce fauteuil aux accoudoirs usés et dont
la tapisserie toute entière semble avoir été élimée par son seul propriétaire à
force d’y avoir séjourné. Devant le fauteuil, la table de travail creusée en
son centre par Balzac en son temps. Elle semble avoir été fendue en deux,
ouverte, comme la Mer Rouge brisée pour Moïse afin qu’il libère les Enfants d’Israël. Sur cette
table, Balzac, entre ces deux bords, y conduit le peuple de la Comédie
Humaine. A
l’intersection de ces deux mers racées, de l’Histoire du monde, de la
littérature, ce coup de canif dans l’éternité, une néréide d’humilité vient
m’arracher à mon autosuffisance même de gratter la croûte terrestre. Bienfaitrice,
elle me fait oublier pour quelques minutes l’état amoureux dans lequel je me
trouvais et qui me rendais niais. Je suis planté devant cette table littéraire où
tout du moins, au bord de l’un de ses affluents. Je lis Balzac : « La mission de l’art n’est pas de copier la nature mais de l’exprimer
…/… Nous avons à suivre l’esprit, l’âme, la physionomie des choses et des
êtres. Ni le peintre, ni le poète, ni le sculpteur, ne doivent séparer l’effet
de la cause qui sont invisiblement l’un dans l’autre ». Je quitte le 47 de
la rue Raynouard, harmonie d’une éternité où l’on se sent bien, plus humble
mais presque aussi niais…
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