dimanche 24 avril 2011

Le Maître et son chien (Caliban) 2



Je reprends : « A la Saint Mathilde on trouve le son du train qui depuis Austerlitz s'est mis au trot et à présent galope vers un lieu précieux, une région de l'intime.
A la Saint Mathilde, à peine les sons s'éploient que déjà ils prennent d'autres formes.
Ce sont les abeilles qui zinzinulent, c'est Woshou la guenon qui tient toujours à peu près le même langage. Ce sont aussi les dauphins et les baleines qui émettent les mêmes signes, une trentaine précisément.
A la Saint Mathilde, les sons ressemblent à des parfums de l'Antiquité, quand la Méditerranée était le bien commun des Romains qui préparaient déjà la ratatouille.
A la Saint Mathilde,
Mathilde, quand tu verras le mot maintenant écrit en lettre capitale d'imprimerie, tu rouleras les « r » comme la Patron te l'a appris, je crois.
MAINTENANT : « A cavale sur mon bidet, quand il trotte il fait des pets, prout, prout, prout, prout cadet ! ».
Et puis, à la fin de la journée du 14 mars, c'est-à-dire, à la Saint Mathilde, la seule fois dans l'année, comme un rituel nécessaire, on entend un son qui vient de son pays de cocagne, un roitelet de Mars majestueux, une voix lointaine qui se pose et lui murmure :
« S'il-te-plaît, dessine-moi un mouton »…
— En soi, c'était un don de la nature, cette M. Qui est-elle ?
— D'un point de vue poétique ou stylistique ?
— Eh bien les deux Chien les deux !
— Côté stylistique, une bourgeoiseffe, une fille sans histoire, début, milieu, fin, vie toute tracée. Née avec une cuillère en argent le matin, dorée à la poêle à frire de maman à midi, chienne comptant son intérêt le soir.
— Et côté désordre ?
— Une image avec une longue tige, des épines vénéneuses qu'on oublie vite fait tellement la fleur est aromatisée, ses pétales colorés de colorants pas du tout récalcitrants.
…« S'il-te-plaît… dessine-moi un mouton » répétait la petite marquise.

 La Chienne (Jean Renoir)

Comme le vers revient le son, le murmure et le ton. Le thon, c'est le steak de la mer. Il ne s'est pas encore posé pour le rendez-vous avec la rime. Il descend tous les ans à la Saint Mathilde. Ce n'est pas comme un dieu mais plutôt une voix, ou si vous voulez, comme une lueur pour elle, quelque chose d'assez important, d'accord parmi bien d'autres choses ! Un vent au sens large la voix de ce bonhomme trop petit et trop grand à la fois sensible et blond, tout doux et très con. Il est sa question. C'est celui-là qu'elle veut vraiment. J'en suis sûr.
— Sûr ?
— Sûr !
Il l'accompagne du soir au matin, matin et soir, dès que le jour rentre dans la nuit et la nuit dans le jour. On l'aura compris, bien au-delà de la Saint Mathilde. Mais ici je donne une petite fête rituelle à l'occasion de cette petite histoire : On se réjouit de l'avant à l'arrière d'une farandole d'orgues de barbaries inspirés des boîtes crâniennes distraites qui fêtent Mathilde depuis des jalousies secrètes. Cette farandole de crâneurs, en fait, est encore loin des Lupercales. Quand Rome s'écrivait Rome. Ô ! Saint Mathilde, matée, icône rêvée, fantasme réprimé à travers le prisme de l'ère courante, un idéal des idéaux pour un tas de queues trop raides à cette heure pour butter juste dans son zénith à elle qui, dans les chambranles de l'avis mondain, prend le modelé des perspectives cavalières pour se soulever presque enfin.
A la Saint Mathilde, la petite, je la vois bien. Il ne faut pas faire semblant. Tous l'aiment tant, bien, mal…Ils tirent des plans.
« Vas par ici, non, plutôt par-là », chantent comme si de rien était ces boîtes à bla-bla, sourdant de la doxa qui joue sa rengaine des gens honnêtes.
La Mathilde n'en demande pas tant. Ce n'est pas ce qu'elle demande.
— Que demande-t-elle ?
— Crotte ! Le Maître !
— Une crotte ?
— Oh ! De m'aimer, tout bêtement de m'aimer ! De me pendre entre ses fesses avant que ma tête ensanglantée ne tombe au fond du panier de la stupeur.
— Hein !
— Son éducation le lui interdit : route barrée. On se serait cru dans des temps anciens. Nous étions les deux pieds dedans, enfin moi, enfin non, enfin elle, enfin bref ! La bourgeoiseffe de République ne pouvant s'accoupler avec le farfelu de l'autre côté du périph, fût-il un beau capitaine.
— Eh non !
— Eh non ! Vous dites comme elle le Maître : « nous ne sommes pas du même milieu ».
— Où étiez-vous donc ?
— In Uranus !
— Pardon !
— Saint-Denis, 93.
— Aie ! De l'autre côté du périphérique.
— (fesse de rat) L'autre monde.
— Ah oui, ce n'est pas vraiment le nombril !
— Mais nous avons aussi des milieux, à Saint-Denis !
— Ah ! Saint-Denis ! Une basilique : les Rois de France ? La banlieue rouge ?
— Oui oui, entre autres le Maître. Mais les rois n'ont plus de tête. Ça ne compte plus. Et les communistes, ils n'ont plus de prolos. Sans tête, sans conscience, on est fichu ! Mais quand même ! Si vous divisiez des rois, même sans tête par des rouges eunuques, on pourrait obtenir une bonne moyenne. Mais, ce qui baisse la note, le Maître, mais ça vous…
— Oui ?
— Le consensus vraisemblable.
— Expliquez ?
— « Vous savez, de ce que les grands disent, les petits bourgeois bavardent ».
— Hâtez-vous !
— Autour de la Basilique ça pullule de pas français : du bicot, ça t'agresse, du négro, ça t'avance à rien, du chinetoque, ça te dépèce. Tout ça, ça s'étale, c'est vrai ! Preuve : c'est une petite guenille qui m'l'a dit : Eux, y s'y connaissent sacrément en parasites. Ça te pique ta place sur le marché, ça tire vers le bas et en toute légalité. Et pis, y faut l'dire, c'est qu'ils sont tous éduqués avec nos droits universels, riches avec notre caf. Ils sont les champions de la profitation. On dit maintenant qu'ils comploteraient pour se hisser au niveau des Juifs sans passer par la Pologne.
— Ah oui ! Ce serait difficile à obtenir.
— Ils prennent le pain des pauvres petits français de la souche, à qui il ne reste plus grand-chose que le drapeau ! Alors si on leurs décolore ce putain de drapeau déjà fantomatique ?
— Oh là, oh là ! Attention. C'est complexe. Et pourquoi pas franchouillard tant que vous-y êtes.
— Vous me l'enlevez de l'esprit.
— Mais toi, Chien, qu'en penses-tu ?
— Qu'il faut changer de drapeau et d'école.
— Farfelu va !
— Le vrai n'est pas forcément farfelu. Les notations des riches, le tri des déchets : S.T.O.P. !
— Et le drapeau ?
— Y en a sûrement un plus beau : noir avec une tête de veau mort.
— En attendant ?
— Un ère de transition.
— Mais Que fabriquais-tu dans cet enfer ?
— Eh ! Ne connaissez-vous pas Dante, son copain vigilant, euh, Vigile ?
— Virgil ! Chien, Virgil.
— C'est quand on part d'en bas pour aller plus haut.
— Oui merci ! Et ?
— Je suis resté en bas.
— Vous n'êtes pas idiot à ce point ?
— Là n'est pas la question.
— Elle est où ?
— Dans le lieu-dit de l'enculage.
— Le cul ?
— Le cul !
— Mais on n'y voit goutte !
— Mal équipé, oui !
— C'est pour cette raison qu'il y a eu...
— Y a eu un grain dans le système Le Maître. Au mieux, une erreur d'aiguillage après la 3ème. Le Bosch, ça m'a pas réussi. Comptez qu'avec ça, j'avais pas la bosch des maths non plus. J'ai foutu l'camp. J'suis parti voir du pays, la vraie école le Maître. Les voyages, ça forme les métayers, c'est bien connu ! On dit ça !
— Ça promet ! Où ça ?
— Dans les colonies !
— Qu'est-ce que cette histoire encore !
— Par habitude, on y envoie le reliquat pourri de l'état civil.
— A savoir ?
— Sous l'ancien régime, des filles lysant l'anxiété des voleurs, de la noblesse et du négoce, augmentant la production de sucre des Indes françaises. Ça fit long feu. On préféra la traite. Équation plus adéquate. Autre temps, autre mœurs, même équation adéquate. Plus près de chez nous, des ouvriers, des paysans déchus continueront de s'appauvrir en Algérie. Ceux-là deviendront des fonctionnaires. Ça reste pauvre mais, c'est pas pareil. On travaille dans l'état. Ça relève immédiatement l'importance. Tous ces espoirs étaient sponsorisés par les colons aux gants jaunes, des légitimistes plus légitimistes que le légitimiste Orléans, des arrivistes néo-libidinaux, des carriéristes de l'armée d'Afrique. Pour toute cette bande de crapule, ça a marché, bardés de leurs fatras d'idées. Ça marche toujours pour ceux du haut.
— Mais vous disiez avoir quitté la métropole ?
— Oui et non.
— Oui ou non ?
— Plus les moyens. On reste petit à domicile aujourd'hui. Ça complique pour la mystification. Pour ce qui est du grand horizon… faut vraiment faire un effort.
— Mais c'est dans la nature de notre épiderme Chien. Le romantisme nous survit. Produire son effort original de civilisation : « Nous ne sommes pas venus en Afrique, pour en rapporter l'Afrique mais pour y apporter l'Europe » (V. Hugo).
— Vous péchez par uchronie le Maître : « En pays colonisé, c'est presque toujours le sentiment de l'injustice qui détermine l'éveil ou le réveil des nationalismes indigènes. »(A. Césaire).
— Et toi par anachronie Chien : « La barbarie est en Afrique […], mais que nos pouvoirs responsables ne l'oublient pas, nous ne devons l'y prendre, nous devons l'y détruire. Nous ne sommes pas venus pour l'y chercher, mais pour l'en chasser. […](V. Hugo).
— Sophiste ! : « …Permettez-moi de vous donner cet avertissement. Lorsque, sous couleur d'assimilation, vous aurez accumulé dans ces territoires, injustice sur injustice, lorsqu'il sera évident qu'à la place d'une véritable assimilation, vous entendez ne leur offrir qu'une caricature, une parodie d'assimilation, alors, vous susciterez dans ces pays une immense rancœur… » (A. Césaire).
— Mais triple buse : « Fondre deux races c'est rapprocher les siècles […], le siècle de la presse libre et de la pleine civilisation, d'autre part le siècle pastoral et patriarcal […] quel abîme à franchir. » (V. Hugo).
— Monsieur le Dr ès… Lettres : « C'est là le drame. Quand vous voulez nous assimilez, nous intégrer, vous nous rejetez, vous nous repoussez. Quand les populations coloniales veulent se libérer, vous les mitraillez ! ». (A. Césaire).
— Passons.
— Passons ? Bravo ! Au bout des canons de la civilisation : la Zone. Y' a qu'un bus à prendre avant 20h. Après faut attendre celui de 6h du matin. Quelle fin ! Et les Indigènes, c'est plus ça ! C'est du Canada dry.
— Chien, vous êtes sarcastique et un tantinet superficiel.
— Superficiel !!? Des clous ! Car enfin, vous n'êtes pas las de ce monde ancien. Il vous va comme un gant. Pourquoi voudriez-vous en changer ?
— Puisez dans le trésor.
— A sec.
— Votre don ?
— Du même acabit.
— La bourgeoiseffe du milieu avec son petit beurre qui s'empiffre de petits princes ?
— Qui dessine un mouton avec un Petit Prince à sa cheville, le Maître !
— Eh bien ?
— Eh bien, c'est une histoire de lutte, rien d'autre. Et le blaireau de service, votre élève en lui-même, ne faiblissait pas. La Pologne, lui, rien à foutre. Ce qu'il voulait, c'était se hisser sur les seins de la belle bourgeoiseffe de République. On lui avait appris au collège unique qu'il vivrait dans le XXIème siècle, et donc, qu'il aurait droit comme tout le monde, d'acquérir son bout de nichon, n'importe lequel, l'égalité des chances. Chevillé à sa cheville, le petit homme était attentif et immobile au pied de sa statue sculptée dans du roc tendre, une allure de va-t'en guerre factice, un sourire insolemment gai, une frange nécessaire à sa parole, selon l'heure et l'humeur des mœurs, trapèzes et dorsaux étoilés d'un million de grains de beauté domiciliés trop loin pour qu'il puisse les atteindre une nuit, galbe adéquat, rondeurs des seins soutenues dans un 90C (selon elle sur le pont d'Arcole entre deux bouchées affamées) où les plus grands chapiteaux du monde étendent leurs pistes aux étoiles, où les petits princes imaginent des scènes de manèges épiques, des lions qui s'élancent d'un coup à travers ses deux cerceaux ovales violacées qui rendent furieux ses dômes péléens, où les acrobates montent sur la pointe de ses seins et sautent physiquement par-dessus les cratères de ses aurores aréoles.
— Il ne la lâchait pas ?
— A la fin de la journée du 14 mars, c'est-à-dire, à la Saint Mathilde, on la vit aller ramasser son murmure : « S'il-te-plaît… dessine-moi un mouton ».
— On observe et on les voit mieux tous les deux.
— Elle lit tout haut. Elle est une jeune femme de son temps, pas une centauresse, ni une icône déformée, mais sans réel avantage, une table des matières.
Elle lit à tue-tête Mathilde sans fard, ni gloire, ni grandeur, sans palimpseste mythique, elle lit Mathilde sans heurts légers :
« Ô ! Reine des condescendances outrageuses, comme Penthésilée pour Achille aux pieds agiles, tu fus l'unique perspective cavalière de mes contes archaïques mises en scène quand le bateau se mit à voguer et que les sables sur le littoral s'envolèrent en fumée avant que l'ouragan ne commence... » FIN.

You're going to loose that girl (The Beatles)

Aujourd'hui, Monsieur, les gens à l'agonie m'ont planté là, avec ce livre ouvert posé à plat dans ma main. Dans son temps, le vulcanologue Alfred Lacroix perça à jour les nuées ardentes sous le dôme luxuriant des volcans péléens. Je vis d'ardentes frustrations macérer dans ce livre rempli de puissance. Et dire qu'il était à mon chevet depuis toutes ces années ! Il me bordait. Je le refermais. Il y avait un titre sur la couverture : Clindor, journal. C'était le livre du fils Bardin. Pridamant Bardin. Je parti avec.
— Et dedans Chien ?
— Après ! Maintenant, il faut raconter le rêve qui fit Clindor. Le livre commençait avec. Il dit à son père : « Père, j'ai vu onze étoiles et le soleil et la lune, je les ai vus se prosterner devant moi. Son père lui répondit : ne raconte pas ta vision à tes frères, ils trameraient une ruse contre toi. Tu apprendras l'interprétation des récits ».
— Alors ?
— Rien !
— Dedans ?
— Dedans c'était dehors.

3 commentaires:

  1. fer à cheval3 mai 2011 à 01:07

    ah non !
    le petit marquis, c'est moi
    à moins que je ne fasse de votre dulcinée ma bovary

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  2. fer à cheval3 mai 2011 à 01:23

    ainsi cette béatrice était le bouclier d'une autre, intraitable, cruelle et plus inconstante qu'une lorette : la nation

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